C’est officiel Warner Music Group vient d’acquérir la start-up Sodatone. Spécialisée dans la récupération, le traitement et l’exploitation des données liées à la musique, Sodatone prétend pouvoir repérer avant l’heure les futures superstars de demain. En compilant les données tirées des réseaux sociaux, des plateformes de streaming, des charts et des dates de tournées, l’entreprise serait donc capable de juger du potentiel d’un artiste et ce faisant conférerait aux personnes ayant accès à ces rapports détaillés un avantage compétitif dans le repérage des nouveaux talents.
Le sujet n’est pas totalement nouveau puisque depuis 2009, une société appelée Next Big Sound s’était fait la porte-parole des possibilités offertes par l’exploitation des big data dans l’industrie musicale. La grande différence cependant réside dans le fait que cette société a été acquise par Pandora, service de streaming et non un label, en mai 2015.
Bien que sur le plan technique et économique l’outil nous intéresse énormément, il soulève chez nous quelques craintes et interrogations. Nous le savons bien évidemment pas dans quelle mesure le recours à ces données pèsera dans la décision ou non de signer un artiste qui aurait été repéré par ce biais. Nous imaginons qu’il existera dans le processus décisionnel des contrepoids, des critères artistiques destinés à faire en sorte que le repérage et la signature desdits talents garde une dimension humaine.
Cependant nous nous interrogeons sur ce que cela dit de l’industrie du disque, à une époque où, malgré la part de plus en plus importante que prend le streaming, le marché reste compliqué. Le fait de recourir à la data à un niveau aussi poussé serait-il symptomatique d’une frilosité de plus en plus importante des acteurs du marché ? Les données ont-elles vocation à prendre le pas sur les considérations artistiques, au point de signer de nouveaux projets sur la base seulement de chiffres flatteurs ?
D’autant plus que, comme en témoigne le récent cas des playlists Spotify trafiquées, les chiffres peuvent être manipulés ! Il est de notoriété publique et ce depuis plusieurs années maintenant, que les vues Youtube, les streams et les abonnés peuvent être très facilement achetés.
Sachant cela, quel poids accorder à des indicateurs qui semblent pour le moins volatils. Et ce même s’il existe des « palliatifs » tels que le taux d’engagement ou la cohérence des courbes de croissance d’un artiste sur les différentes plateformes. Doit-on craindre que, dans une logique conservatrice, les labels et éditeurs limitent leurs investissements en développement aux projets présentant les chiffres les plus prometteurs ?
Mais peut-être une issue plus optimiste est-elle envisageable. Ce n’est un secret pour personne, Internet a permis de démocratiser l’accès au marché et donc aux auditeurs. En théorie n’importe qui est aujourd’hui en mesure de s’auto-produire et mettre sa musique en ligne. Dès lors, le défi n’est plus de réussir à sortir son projet mais bien de réussir à exister et à se faire repérer parmi tous les projets disponibles. Il est impossible pour les labels de suivre la cadence, d’avoir des oreilles partout et d’être à l’affut au point de ne rien manquer. En imaginant que l’outil développé par Sodatone soit sensible au point de repérer des signaux certes faibles mais prometteurs au milieu du bruit que constitue le nombre toujours plus important de projets mis en ligne, alors, peut-être, que les labels retrouveront leur rôle de dénicheurs et développeurs de talents.
L’avenir nous le dira.
Thomas Tissot (Wagram Music)